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Channel: Esther Bégin
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Polytechnique, ma soeur et moi

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Ma soeur Sarah et moi sur un banc de parc de New York

Ma soeur Sarah et moi sur un banc de parc de New York

Dans la foulée du 25e anniversaire de la tragédie de Polytechnique, l’heure est au bilan. Piètre en matière de contrôle des armes à feu (le Ruger Mini-14 utilisé par Marc Lépine est toujours accessible au Canada). Piètre en matière de violence faite aux femmes (1500 Canadiennes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex depuis 1989). Plus « reluisant » au chapitre des interventions policières (Polytechnique aurait permis de limiter les dégâts à Concordia en 1992 et à Dawson en 2006…).

Qu’en est-il au juste?

Je dois d’abord vous avouer : la tragédie de polytechnique m’est « rentrée dedans ». Je l’ai même un peu « pris personnel »…

À l’époque, j’étais étudiante en science politique à l’Université Laval. Cette journée fatidique du 6 décembre 1989, je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai appris « la nouvelle » en rentrant dans mon appart du Vieux-Québec. En ouvrant la télé sur l’heure du souper, d’un coup, mon sang s’est glacé dans mes veines…

Ma sœur, jeune ingénieure diplômée à l’emploi du CRIQ à Montréal, devait justement aller ce jour-là à Polytechnique s’inscrire à un cours de Calculs par Éléments finis pour la session suivante… Paralysée par l’angoisse, ça m’a pris tout mon p’tit change pour saisir le téléphone et composer son numéro. Et  si elle ne répond pas? Et si elle est à Poly? Et si elle a croisé le tueur sur son chemin?…

Sarah était finalement en sécurité à la maison. Retenue plus tard que prévu au boulot, c’est en conduisant vers l’Université de Montréal qu’elle a appris l’horreur à la radio. Un coup de massue… Elle était rentrée directement chez elle.

J’avais à peine raccroché avec ma sœur que mon téléphone sonne. Au bout du fil, la voix catastrophée de mon père :

« As-tu vu ce qui s’est passé à Montréal? As-tu des nouvelles de Sarah »?

Moi : « Oui, je viens de lui parler ».

Lui : « Où est-elle? ».

Moi : « Chez elle, en sécurité ».

Lui : « Es-tu bien sûre? »…

Je suis restée gluée à ma télé pendant des jours. 14 jeunes femmes… Le policier Leclair qui découvre sa fille Maryse poignardée par Lépine…. Les cercueils blancs aux funérailles… Les psys qui tentent de psychanalyser tout ça….

J’étais littéralement sonnée. Sarah, de son côté, naviguait dans l’incompréhension la plus totale. Nous, deux filles dont les parents avaient insisté pour qu’elles embrassent des « professions libérales » (je suis avocate de formation). Simplement parce qu’elles rêvaient de devenir ingénieures??…

Sarah m’avoue qu’elle n’a toujours pas compris aujourd’hui « comment un tel désastre peut arriver ». D’autant plus que lors de ses études, elle n’a jamais ressenti l’ombre d’un début de commencement de discrimination relativement à son statut d’«étudiante en génie ». À l’époque, les femmes ne représentaient que 2% de la clientèle des facultés d’ingénierie. Dans la promotion de ma sœur, en génie physique, elles étaient 4 sur une cinquantaine d’étudiants.

Donc, 25 ans plus tard, le bilan de Polytechnique?…

Moi qui aie décrié à plusieurs reprises dans ce blogue la violence faite aux femmes, le doute m’habite. Il m’arrive même de penser que c’est pire aujourd’hui… Sarah, elle, croit qu’on a fait des progrès. Entre autres, parce qu’on n’hésite plus à dénoncer. Par exemple, la violence conjugale ou familiale qui était beaucoup plus cachée à l’époque.

À bien y penser, comme je l’ai fait un million de fois dans ma vie, je vais m’en remettre au bon jugement de ma grande sœur, qui voit le verre à moitié plein. Pour que la mort de 14 jeunes femmes en cette lugubre fin d’après-midi du 6 décembre 1989 ne soit pas totalement vaine.

 


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